TAMBOURS VOILÉS
", la 106, je l'ai donnée en fait, à un jeune du village, elle ne valait plus rien, et les quatre pneus étaient lisses,alors,mais je l'ai tout de même quittée avec un petit pincement au cœur, vingt-cinq ans de route ensemble, ça laisse des traces dans la mémoire, pour me rendre à la capitale, ce que je fais rarement, une à deux fois par an, pas plus, je prends le TGV, et en une heure, je suis sur place, je déteste les garagistes et leurs regards navrés quand ils considéraient ma caisse, le vélo, c'est très dur en hiver, mais je n'ai que deux kilomètres pour aller au village, et trois pour le supermarché, elles doivent se dire, aux caisses, c'est encore l'écrivain alcoolo qui vient faire le plein, ils ont dû lui sucrer son permis, t'as pas vu, il vient en vélo maintenant, on dit à vélo, Solange, parce que, le vélo, on peut pas être dedans, qu'est-ce que tu me fais rire, Jeannine, moi, j'ai toujours dit en vélo, j'ai au moins appris quelque chose aujourd'hui, ça fait drôlement du bien, la culture, et elles gloussent toutes les deux, chacune à sa caisse, elles bipent les produits à toute vitesse sur le tapis, et elles gloussent, certains clients les regardent, amusés, d'autres, l'œil sévère, soupirent, des caissières qui rigolent à présent, on aura tout vu, moi, de mon temps, on rigolait pas au travail, ou, autrement, la porte, qu'est-ce qu'elles peuvent se raconter, ces deux dindes, tiens, Marguerite, y a l'écrivain, là, mais si, tu sais bien, celui du roman d'une phrase, même que tu m'en avais lu des extraits un soir, au lit, mais je t'assure que c'est lui, on lui demande un autographe après la caisse, et pourquoi ça donnerait pas des autographes, un écrivain, et les séances de signatures dans les librairies, les FNAC tout ça, c'est pas fait pour les chiens, il signera pas sur un bout de papier, Robert, encore moins sur un ticket de caisse, ça se fait pas, et puis, il a peut-être envie qu'on le laisse tranquille, tu as vu son caddie, que des bouteilles, et des canettes de bière, ça boit beaucoup ces gens-là, c'est pour l'inspiration, j'ai lu ça dans une revue, ils sont alcoolos à 90%, même les femmes, et quand ils passent à la télé, c'est jamais du direct, dans leurs loges, l'attente est très longue, alors, on leur sert à boire, et la plupart du temps, sur le plateau, ils sont ronds comme des barriques, les animateurs aussi, ça boit beaucoup dans ces milieux-là,"
Dominique Solamens/"Tambours voilés"/roman/p.41/En écriture/
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Claude Rich...
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